Introduction

Table d'EmeraudeCi-contre, édition originale du texte latin de la Table d'émeraude, traducteur inconnu. Extrait de De Alchimia, Chrysogonus Polydorus, Nuremberg 1541.

Table d'émeraude d'Hermès Trismégiste, traducteur inconnu - Secrets d'Hermès qui étaient écrits en ces termes sur la table d'émeraude trouvée entre ses mains dans un antre obscur où fut découvert son corps inhumé.

Le texte rappelle l'origine légendaire de la Table d'émeraude. Selon Eliphas Lévi, il faut comprendre la légende allégoriquement (ainsi, du reste, que la plupart des légendes). La table d'émeraude en tant qu'objet n'a sans doute jamais existé, elle constitue un symbole : émeraude des sages est en effet l'un des noms du Mercure , allusion à la couleur verte mentionnée par la plupart des auteurs sérieux. Dans certaines traditions, le Graal est dit être d'émeraude : il s'agit de la même allégorie. C'est le Graal qui a recueilli le sang de l'agneau immolé depuis le commencement du monde (cf. Evangile de Jean).

Ce sang correspond au Soufre des alchimistesSoufre, et notez bien que le symbole alchimique du Mercure  rappelle la forme d'une coupe... En Alchimie, rappelons-le pour les non-initiés, le Soufre n'est pas du soufre vulgaire : c'est un principe qui présente des analogies  avec le soufre. Idem pour le Mercure, qui voile plusieurs choses différentes, mais présentant toutes des analogies avec le mercure vulgaire.



Pour en revenir à l'objet table d'émeraude, je dois cependant signaler que d'après Wendell Phillips, les anciens maîtrisaient l'art d'imiter les pierres précieuses à la perfection. Le fameux vase vert de la cathédrale de Gênes fut ainsi considéré comme fait d'une émeraude massive jusqu'au XIXème siècle. Une légende raconte que ce "vase d'émeraude" faisait partie du trésor que la reine de Saba offrit à Salomon, et que le Christ avait plus tard bu dedans au cours de la sainte Cène (ce qui rejoint la légende du Graal d'émeraude). La fabrication d'une table gravée, paraissant avoir été taillée dans de l'émeraude, aurait donc été techniquement envisageable.

J'ai dit ailleurs (cf. Chrisme) que Fulcanelli voyait aussi le mot , qui signifie vert dans les lettres  et  du Chrisme. Il est à remarquer qui si le texte est censé être d'origine grecque, jamais la version originale n'a été retrouvée. On la chercherait vainement au sein du fameux Corpus Hermeticum, recueil de textes grecs attribués à Hermès Trismégiste et rédigés, selon les historiens, entre le Ier et le IIIème siècle ap-jc. La version la plus ancienne du texte connue actuellement est en arabe, elle se trouve à la fin du Livre des secrets de la création, attribué à Balînûs (arabisation présumée de Apollonios de Tyane), qui daterait du VIème siècle ap-jc. Pour davantage de détails, voyez la préface de Didier Kahn au recueil La Table d'émeraude.

Dans son Dogme et Rituel de la Haute Magie notamment, Eliphas Lévi en commente des passages (voir aussi les ouvrages de Fulcanelli  et de H.P. Blavatsky). Le commentaire ésotérique de la Table d'émeraude  le plus complet dont j'aie connaissance se trouve dans le second tome du Serpent de la Génèse de Guaita, et encore se révèle-t-il indigent à bien des égards. Ma réflexion personnelle s'appuiera principalement sur ces auteurs.

Le texte en lui-même est un résumé des connaissances que les anciens possédaient sur la Lumière Astrale. On a souvent dit qu'il y était question de la fameuse Pierre Philosophale, mais cela ne se tient que pour certains passages, car la Pierre est une modalité (il est vrai très particulière) de l'Esprit universel : pour simplifier, la Pierre Philosophale est la sève de la Nature (Koumos en grec, qui a peut-être donné Alchimie, mais l'étymologie est contestée), qu'on a trouvé le moyen de concentrer, et d'emprisonner dans une gangue saline de façon à obtenir un composé relativement stable. Une telle puissance est en effet dangereuse à l'extrême, puisque la Pierre n'est rien moins, dans les termes utilisés à notre époque, qu'un réacteur nucléaire en miniature. Sur le plan mystique, avoir réalisé la Pierre signifie brûler intérieurement d'amour inconditionnel et désintéressé avec une intensité telle que les autres se trouvent régénérés par un simple regard, une parole, ou l'imposition des mains, et que la volonté peut désormais accomplir des miracles tels que ceux attribués à tous les Maîtres historiques (Jésus étant celui que nous connaissons le mieux en Occident).

Il y a peu de chances pour que la Table d'émeraude ait été effectivement découverte par Alexandre le Grand, dans la tombe d'Hermès Trismégiste... Elle est depuis l'origine un texte ésotérique – au sens par conséquent voilé –, qui a ensuite traversé les âges en étant recopié, interprété, traduit et retraduit maintes et maintes fois.


Ci-contre, le dieu égyptien Thoth, à rapprocher de l'Hermès grec.
Le dieu Thoth

Elle a donc forcément été altérée, puis sans doute reconstituée, avec assez de bonheur, par certains érudits.  Tout cela pour dire que l'ambition de vouloir rapprocher le sens des phrases et le symbolisme des nombres correspondant à l'ordre des sentences (qu'on aurait suppléés pour l'occasion), ainsi que je l'ai vu parfois faire, me paraît démesurée. Trouver un sens absolu à ce texte serait aussi une entreprise chimérique.

Ce qui, en revanche, s'avérera très fructueux, sera de garder constamment à l'esprit que les anciens raisonnaient davantage de manière synthétique et analogique, alors que nous vivons, surtout depuis Descartes, une ère analytique. La Table d'émeraude, comme tous les textes mystiques que nous ont légués les anciens, supporte plusieurs niveaux d'interprétation – au moins trois... Il faudra me pardonner, au cours de cet humble commentaire, de mêler de temps en temps plusieurs des points de vue envisageables. Mon but n'est pas de lever complètement le voile sur ce monument de l'hermétisme  – je ne prétendrais d'ailleurs pas être en mesure de le faire; mais de le révéler, au sens de re-voiler, ainsi que l'entendait Eliphas Lévi. En d'autres termes, je tâcherai d'en conserver l'ésotérisme, en l'éclairant sous un nouveau jour.

Je donne ci-dessous la version latine du théosophe Henry Khunrath :

Tabula Smaragdina hermetis trismegisti

Verba secretorum Hermetis – Verum, sine mendacio, certum et verissimum : quod est inferius est sicut quod est superius; et quod est superius est sicut quod est inferius, ad perpetranda miracula rei unius. Et sicut omnes res fuerunt ab uno, mediatione unius, sic omnes res natae fuerunt ab hac una re, adaptatione. Pater ejus est Sol, mater ejus Luna; portavit illud Ventus in ventre suo; nutrix ejus Terra est. Pater omnis telesmi totius mundi est hic. Vis ejus integra est si versa fuerit in terram. Separabis terram ab igne, subtile a spisso, suaviter, cum magno ingenio. Ascendit a terra in coelum, iterumque descendit in terram, et recipit vim superiorum et inferiorum. Sic habebis gloriam totius mundi. Ideo fugiet a te omnis obscuritas. Hic est totius fortitudine fortitudo fortis; quia vincet omnem rem subtilem, omnemque solidam penetrabit. Sic mundus creatus est. Hinc erunt adaptationes mirabiles, quarum modus est hic. Itaque vocatus sum Hermes Trismegistus, habens tres partes philosophiæ totius mundi. Completum est quod dixi de operatione Solis.


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